Qu’est-ce que l’ « Ammonite » ? Un ancien théâtre peuplé des spectres de toutes les pièces qui s’y sont jouées ? Un tourbillon qui aimante à leur insu les pas perdus des habitants de la ville ? Un piège où l’étrange Pygmalion dont la voix nous guide d’une loge à l’autre invente son théâtre en manipulant des marionnettes grandeur nature ? Ce qui est certain, c’est qu’a l’Ammonite, l’envers vaut l’endroit, et que l’on peine à distinguer le dehors du dedans. Et surtout, qu’il s’agit d’un lieu en perpétuelle transformation, tour à tour plateau de théâtre, loge, jardin public, chambre aux images, sanctuaire d’un assassin et bien d’autres choses encore… Dans ce lieu, les personnages ou acteurs – les deux mots sont ici synonymes – sautent allègrement d’un corps à l’autre (fluidité et porosité sont les mots clés): ceux qui regardent deviennent ceux qu’ils regardent, les assassins et les victimes échangent les rôles, les filles sont plus âgées que leurs mères… Mais est-ce le lieu qui transforme les corps et leur imposent d’infinies métamorphoses, ou bien les corps qui réinventent à chaque instant le lieu ?
Les onze « scènes », ces onze loges, sont occupées chacune par deux personnages, vingt-deux personnages qui ne sont peut-être que deux mêmes personnages qui passent de loge en loge, loge où les deux voix ne sont peut-être que le recto et le verso d’un même personnage qui se cherche. Voix en quête de personnage, personnage en quête de public, en quête d’auteur, auteur en quête de son œuvre. Pirandello est proche, Giraudoux n’est pas loin, le Shakespeare de La Tempête est peut-être même ici.
May Day et Never, Never, Never sont de très belles œuvres, mais Ammonite nous semble être la pierre angulaire qui unit ses pièces déjà écrites avec celles à venir. Ammonite transpire ses écrits précédents et laisse transparaître ceux à venir.
Dorothée Zumstein est l’auteure d’une dizaine de pièces, parmi lesquelles Never Never Never, Mayday, L’Orange était l’unique lumière, Mémoires pyromanes, Alias Alicia (Opening Nights), Harry et Sam – pour la plupart parues aux éditions Quartett. Pour la scène, elle a traduit du théâtre élisabéthain – La Tempête de Shakespeare et Massacre à Paris de Marlowe sont publiées aux Nouvelles éditions Place.
Ses pièces et traductions ont fait l’objet de plusieurs créations (Théâtre des Célestins, Théâtre de la Colline, Théâtre de Sartrouville, Subsistances, les CDN de Reims, de Rouen, de Valence, etc.).