Genesis n° 2
Manuscrits poétiques
Revue : Genesis
200 pages
Format : 22 x 27 cm
ISBN : 9782858931712
Date de parution : 1992
Prix : 22 €
L’idée de ce numéro est née de la réflexion collective menée, de 1989 à 1991, au sein d’un atelier de l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (CNRS), consacré aux manuscrits poétiques. Une telle réflexion s’imposait, car, dans la période précédente, les études génétiques s’étaient surtout développées, en France, à propos d’oeuvres en prose, et, plus particulièrement, de textes narratifs. Au moment de faire un premier bilan de ces développements, et de commencer à élaborer une théorie plus générale de la genèse, il importait de ne pas négliger les enseignements que l’on peut tirer des manuscrits relevant d’autres genres littéraires et, notamment, de celui qui porte inscrit dans son nom même la notion de création : la poésie.
Y a-t-il une spécificité de la genèse poétique ? Telle est la question que nous avons voulu poser ici. Valéry affirmait sans ambages qu’il y a ” une différence extrême entre les moments créateurs de prose et les moments créateurs de poésie “. Ce propos célèbre correspond à une intuition profondément inscrite dans notre culture et notre conscience littéraires. Mais une telle conviction se heurte à toutes les objections que soulèvent les multiples efforts déployés par les poètes eux-mêmes, depuis plus d’un siècle, pour libérer le vers, ou le briser, pour brouiller ou effacer les frontières qui séparent la poésie de la prose, alors même que bien des prosateurs faisaient leurs des procédés traditionnellement considérés comme poétiques. L’existence de genres nouveaux, et mixtes, comme le ” récit poétique ” ou le poème en prose, ne remet-elle pas en cause le statut d’exception que s’est peut-être abusivement arrogé trop longtemps la création poétique ?
L’examen des manuscrits poétiques permet-il d’éclaircir ce débat, de lever ces doutes ? Il semblerait plutôt de nature à les aggraver. Il nous confronte en effet à une grande diversité de démarches créatrices : chaque genèse poétique semble avoir sa particularité, qui tient à l’époque, à la tradition nationale, à la forme adoptée, à la personnalité de l’auteur, à la visée propre du texte… Il y a plus troublant encore : il n’est pas rare que l’élaboration d’un poème recoure, à un moment ou à un autre, au support de la prose. Le premier vers n’est pas toujours un don des dieux. Or, c’est précisément dans ces cas, sur lesquels nous reviendrons plusieurs fois, où le poème sort, parfois difficilement, de la prose, qu’apparaît, de la façon la plus frappante, la subtile mais indéniable différence qui distingue la création poétique des autres formes de création littéraire : tout d’un coup l’invention, l’élocution, la disposition empruntent une autre voie, qui oriente de façon d’abord imperceptible, mais décisive, l’écriture vers la poésie.
Ce sont quelques-uns de ces trajets propres à l’écriture poétique que nous essaierons de repérer dans ce numéro. A un certain niveau de généralité d’abord, dans la section ” Enjeux “. Michel Collot, proposant une synthèse des travaux de l’atelier, tente de dégager, par-delà la diversité des corpus étudiés, quelques tendances assez constantes, qui caractérisent, selon lui, la spécificité de la genèse poétique ; Bernhild Baie lui répond, en mettant l’accent sur le rôle que joue la prose dans la démarche créatrice de plusieurs poètes allemands, du romantisme à nos jours, tout en marquant le saut qualitatif que représente le passage au poème.
Des ” Etudes ” plus détaillées, portant sur des corpus particuliers, mettent à l’épreuve certaines de ces hypothèses, ouvrent d’autres perspectives et font surgir de nouvelles questions. André Jarry revient sur la fonction des esquisses en prose, à propos de la genèse du poème ” Les Destinées ” d’Alfred de Vigny. Jean Gaudon souligne, pour sa part, la ” composition aventureuse ” du poème hugolien, qui semble souvent issu d’une sorte de ” nébuleuse ” poétique en perpétuelle transformation. Judith Robinson-Valéry, reprenant, à la lumière d’un précieux document inédit la genèse d’un poème de Valéry sur la mort de Mallarmé, montre comment la poésie peut devenir la seule expression possible d’une émotion informulable en prose. Cette intensité affective du langage poétique est sans doute une des difficultés auxquelles se heurte toute tentative de traduction, faisant d’elle un véritable ” parcours créatif ” : tel celui que retrace Luigi De Nardis à travers les différentes versions de la traduction du ” Faune ” mallarméen par Giuseppe Ungaretti ; cette analyse donne à notre collègue italien l’occasion d’une stimulante discussion sur les méthodes et les limites de la critique génétique.
Celle-ci a toujours gagné à confronter le résultat de ses enquêtes avec ce que les écrivains eux-mêmes ont pu dire de leur travail. Le point de vue du créateur est nécessairement différent de celui du généticien : il n’en est que plus intéressant d’interroger leurs rencontres et leurs divergences. C’est pourquoi nous remercions vivement trois des plus importants poètes français contemporains, Yves Bonnefoy, Pierre Oster Soussouev et Michel Deguy, d’avoir accepté de répondre à nos questions, dans les ” Entretiens ” qui occupent la troisième section de ce numéro.
La dernière est, selon l’usage de la revue, consacrée à la présentation et à la publication d’extraits inédits du dossier manuscrit d’un des poèmes majeurs de Francis Ponge : ” Le Soleil placé en abîme “. Nous ne pouvions malheureusement, dans les limites de ce numéro, reproduire la totalité de ce dossier considérable. Mais les documents retenus sont pour notre propos d’un très grand intérêt. On y voit Ponge réfléchir sur sa ” creative method ” et sur les enjeux de ce texte, qui occupe dans sa production une place exemplaire. Du soleil, Ponge voudrait parler au moins autant en ” scientifique ” qu’en poète ; il se méfie du lyrisme, et cultive volontiers un certain prosaïsme. Mais les multiples résonances affectives et esthétiques de son thème lui imposent à tout instant de quitter l’objectivité à laquelle il voudrait se tenir, et de recourir aux images poétiques, aux figures rhétoriques et aux configurations typographiques.
Ce dossier, fait pour l’essentiel de feuillets rédigés en prose, illustre bien, nous semble-t-il, ce qui fait aujourd’hui la spécificité du manuscrit poétique : si elle est moins apparente, lorsque le poème n’est pas versifié, elle n’en demeure pas moins profonde, car elle tient à la “forme intérieure ” du langage poétique, qui, parfois, oblige l’écrivain à se faire poète malgré lui…
Enjeux
11 Tendances de la genèse poétique, par M. Collot
27 Au commencements du poème : de la prose à la poésie, par B. Boie
Études
49 Un parcours créatif : Ungaretti traducteur de Mallarmé, par L. de Nardis
61 Valéry face à la mort de Mallarmé : de l’impossible prose à la poésie, par J. Robinson-Valéry
81 De la poésie au poème : remarques sur les manuscrits poétiques de Victor Hugo, par J. Gaudon
101 Naissance d’un mythe, naissance du poétique. La naissance du poème des “Destinées”, par A. Jarry
Témoignages
123 Enchevêtrements d’écriture. Entretien avec Yves Bonnefoy, par M. Collot
131 L’atelier universel. Entretien avec Pierre Oster, par M. Collot
139 Tombeau de la circonstance. Entretien avec Michel Deguy, par M. Collot
Inédits
151 Manuscrits inédits du “Soleil placé en abîme”. Présentés par Michel Collot, par F. Ponge
Chroniques
183 Paul Valéry, “Cahiers 1894-1914”, par H. Zeller
190 Quelques précisions sur l’édition des “Cahiers 1894-1914”, par J. Robinson Valéry, N. Celeyrette-Pietri